Nous étions en retard. J'ai indiqué les mauvaises directions à ma mère. Nous sommes parties du mauvais côté. Nous étions doublement en retard.


On se dirigeait vers la Glide Memorial Church en ce dimanche matin pour une messe gospel pas piquée des vers, nous avait-on dit. Sauf que cette église, elle est située dans un quartier peu fréquentable...la nuit. Disons qu'il ne l'est pas tellement plus le matin. Tenderloin, que ça s'appelle.


Les sans-abris, junkies, gens en détresse psychologique pullulent dans ces rues à travers les touristes et autres locaux.


Les arbres qu'on croise sur notre chemin ont servi d'urinoir durant la nuit. Il y a des excréments par terre. À quelques pas de l'église, il faut presque enjamber les personnes itinérantes et leurs chiens couchés sur le sol. Certains hommes sont nus pieds. On se demande si on est à la bonne place. S'il ne vaudrait pas mieux faire demi-tour..


Un homme debout devant l'immeuble est en train d'enfiler un chandail. Nous sommes chez lui, que je me dis.


"L'église" n'a pas de clocher. On se regarde sans comprendre, maman et moi, quand une femme valide avec nous le but de notre visite et nous invite à la suivre. Sur des vêtements, on peut lire Glide.


Les lieux ressemblent à un CLSC. Près des escaliers qu'elle emprunte, c'est écrit "Church". On se retrouve dans une salle avec une trentaine de bancs d'église, une chorale, de nombreux spectateurs. Il y a des images projetées derrière la femme au micro qui nous rappellent que ça va pas super bien dans le monde présentement. On voit notamment des photos d'enfants séparés de leur mère. On n'est pas trop fiers du pays de Trump ici.


L'animatrice nous présente une administratrice de Glide. Elle est nerveuse et émue. Elle vient parler de son parcours tumultueux. Après toute la souffrance et la violence vécues, sa seule issue aura été la drogue. Puis, elle a rencontré ce groupe qui lui a offert soutien et écoute jusqu'à sa totale rémission. Ils l'ont aidée à se rebâtir, à reprendre confiance en elle. La foule l'interrompt plusieurs fois pour l'applaudir et l'ovationner. On se croirait dans une réunion de AA. Mais peu importe, ce groupe me donne espoir par rapport à ce qui se passe dehors, juste de l'autre côté de la porte.


Lorsque la chorale se met à chanter, c'est une émotion brute qui me secoue . Du talent pur, des chansons bien maîtrisées; les choristes se donnent comme s'il n'y avait pas de lendemain. Les solistes sont excellents. Je suis enchantée, contente d'être là.


Le pasteur, venu nous "bénir", nous dit-on, parle de sa vie dans Chinatown. Du racisme et de l'intimidation qu'il a connus alors qu'il était le seul Chinois dans son école secondaire. Du racisme que Trump exacerbe partout aux Etats-Unis quand il prend la parole. Il nous demande de créer un peu de paradis sur Terre chaque fois qu'on le peut.


Il termine son discours et je me rends compte qu'il n'y a pas eu de prières, pas eu de mots creux qu'on récite en chœur. Seulement des voix vivantes et le désir de rendre le monde un peu meilleur. Je me dis que c'est quelque chose de bon à rapporter avec moi dans mes bagages... et ça ne prendra pas trop de place.